Wednesday, 06.09.2023 - PSCC Talk - Zoom

PSCC Talk: Le sahel face aux spectres de la crise au Soudan et au Niger : quelles peuvent être les conséquences de ces crises sur la stabilité régionale ?

Dans le cadre de ses conférences virtuelles dénommées « PSCC Talk » le bureau Paix et Sécurité Centre de Compétence Afrique Subsaharienne de la Fondation Friedrich Ebert (FES PSCC) Dakar a organisé le Mercredi 06 Septembre 2023 une rencontre virtuelle sur le thème : « Le sahel face aux spectres de la crise au Soudan et au Niger : quelles peuvent être les conséquences de ces crises sur la stabilité régionale ?». Les discussions avaient pour but d’analyser les incidences de la guerre au Soudan et de l’issue de la crise Nigérienne sur les dynamiques sécuritaires, humanitaires et migratoires au Sahel. Enfin, Il s’agissait de formuler des recommandations pertinentes pour éviter que ces situations ne viennent renforcer la crise au Sahel. La rencontre a réuni une vingtaine d’experts, acteurs politiques et organisations de la société civile du Soudan, du Sahel mais aussi du Bénin et du Togo.

Depuis une dizaine d’années, la région du sahel est confrontée à une menace hybride et complexe, comprenant le terrorisme, la criminalité transfrontalière, le Trafic d’être humain, etc.

En 2023, le risque de déstabilisation de toute la région semble avoir augmenté avec en filigrane le spectre de la crise sociopolitique et sécuritaire au Soudan qui s’est fortement aggravée avec des affrontements entre les hommes des deux généraux de l'armée : Abdel Fattah al-Burhane, chef de l'armée devenu chef du pays, et Mohamed Hamdane Daglo, chef de la force paramilitaire.  Au-delà, des répercussions que pourrait avoir cette crise sur toute la bande sahélo sahélienne, un autre évènement, le coup d’état survenu au Niger le 26 juillet 2023 par le CNSP, est venu renforcer les idées de suspicions quant à une possibilité de l’aggravation de l’instabilité dans toute la région.  En effet, les solutions politiques et diplomatiques pour résoudre ces deux crises paraissent compromises. Au Soudan, toutes les initiatives de la communauté internationale, de la ligue Arabe et des pays voisins, pour amener les belligérants à trouver une issue pacifique, ont échoué jusqu’à présent. Quant au Niger, les mesures d’une intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel envisagé par la CEDEAO semblent éminentes bien que les négociations soient en cours.

Au finish, l’évolution de ces deux crises laisse planer des menaces supplémentaires à la stabilité régionale au sahel. Pour en discuter, les deux intervenants, Dr Serigne Bamaba GayeSpécialiste des questions de paix, sécurité et gouvernance en Afrique et Pr Munzul AssalProfesseur de socio-anthropologie à l’Université de Khartoum ont tenté d’apporter des réponses aux questions ci-dessous, a suivi les questions/ contributions avec les participants :

  • Comment évaluer l’incidence de la guerre au Soudan sur la situation sécuritaire, humanitaire et migratoire du Sahel? Comment peut-elle influencer la stabilité régionale et continentale ?
  • Quels sont les scenarios envisageables dans le cas d’une intervention militaire de la CEDEAO au Niger et ses conséquences sur les dynamiques sécuritaires et migratoires au Sahel ? Quelles peuvent être les voies de sortie de crise qui prennent en compte la vulnérabilité de la région ?
  • Quels sont les leviers  dont disposent les états du Sahel pour contenir les risques de débordement des  crises  au Soudan et au Niger ?

A l’entame de leurs interventions, les deux experts sont revenus sur le contexte sociopolitique et sécuritaire du Soudan de l’indépendance à nos jours avec une histoire émaillée de conflits armés et de coups d'État. Au total, le Soudan vit son 6ᵉ coup d’État, sans compter les multiples tentatives de coups d’états qui ont échoué au cours de ces dizaines d’années. Ces luttes pour le pouvoir en plus des conflits armés internes ont contribué à fragiliser l’état et le pouvoir politique. Elles ont par ailleurs contribué à l'instabilité continue dans le pays avec une forte ingérence des militaires dans la vie politique. La crise actuelle entre les deux généraux qui avaient écarté, en octobre 2021, les civils de l’organe de la transition installé après le coup d’État contre Omar el-Bechir, en 2019, a déjà occasionné des milliers de morts (civils et militaires) et des millions de réfugiés dans les états voisins (Tchad, Egypte, Ethiopie…). Selon les deux intervenants, l'instabilité au Soudan peut rapidement se propager le long de la bande sahélo-sahélienne y compris dans d'autres pays africains, en particulier ces voisins, en raison de plusieurs facteurs clés, à savoir :

  • Facteurs sociologiques, anthropologiques et culturelles : Les conflits ethniques et tribaux au Soudan ont des liens avec des groupes ethniques présents dans les pays voisins, ce qui peut entraîner une escalade de la violence transfrontalière.
  • Fragilité des frontières : Les frontières artificielles en Afrique sont souvent poreuses, mal définies et mal contrôlées, ce qui facilite la propagation des conflits d'un pays à l'autre. Et, la bande sahélo-saharienne, qui est zone géographique immense, s’étend sur plusieurs régions en juxtaposition qui seront touchés. C'est une zone déjà sous tension, à l'origine du terrorisme et de nombreux conflits.
  • L'exemple libyen : le cas de la Libye est illustratif de la manière dont l'instabilité dans un seul pays peut se propager dans toute la région (après la chute de Kadhafi en 2011, la Libye est devenue un foyer de conflit et de terrorisme, alimentant des groupes armés dans les pays voisins, notamment le Mali et le Niger). En effet, une instabilité prolongée du Soudan aura forcément des répercussions sur la situation sécuritaire au sahel en panne de solutions pour endiguer le terrorisme. La situation actuelle au Sahel est l'une des conséquences de l'instabilité en Lybie, et une guerre au Soudan ne pourrait qu'accroître le terrorisme au Sahel et entraîner une crise migratoire continentale et intercontinentale.

Quant au Niger, depuis Juillet 2023, un énième coup d’état y est survenu et vient s’ajouter à une série de coups d’État actés en moins de trois ans en Afrique de l’Ouest. La CEDEAO, l’organisation sous régionale garante de la stabilité régionale et du respect de la démocratie, peine à circonscrire cette vague de coup d’état qui constitue un véritable danger pour la stabilité régionale. Les solutions politiques et diplomatiques semblent être en échec pour le moment et l’imminence d’une intervention militaire de la force d’attente de la CEDEAO se matérialise de jour en jour. Or, une intervention militaire dans ce pays du Sahel déjà confronté à des défis de sécurité importants, notamment des groupes terroristes actifs dans la région, peut potentiellement aggraver la situation dans le pays, dans toute la région du Sahel et s’étendre vers les pays du littoral.

Par ailleurs, les discussions ont permis de démontrer les insuffisances des organisations sous régionales et continentales (CEDEAO, UA…) dans la gestion et résolution de ces deux crises.  Et dans ce sens, ces crises pourraient profiter à court et moyen terme aux groupes terroristes et accentuer les conflits déjà existants. En outre, elles pourraient avoir des conséquences désastreuses sur les politiques migratoires dont les contenus risquent d'être remises en cause  et renforcer les réseaux de trafic d'êtres humains, d'armes, de drogues, d'or… installés tout le long de la bande sahélo-sahélienne. De plus, Il est urgent d'apporter une aide humanitaire aux millions de personnes déplacées qui continuent d'accroître du Soudan vers les pays voisins comme le Tchad et accentuent une pression économique, alimentaire et sécuritaire supplémentaire sur ces régions. Pour rappel, le Tchad est un acteur clé de la lutte sous régional contre le terrorisme notamment contre Boko Haram. Dans le même sillage, l’une des conséquences directes de ces deux crises sur le sahel, si elles ne sont pas résolues à temps, pourrait être la  difficulté dans la lutte contre le changement climatique qui constitue une tendance lourde difficile à inverser.

En termes de recommandations, les discussions ont permis de démontrer l’urgence de :

  • s’attaquer aux causes profondes de la gouvernance dans nos pays tout en renforçant  le système de démocratie ;
  • Résoudre les problèmes de manière graduelle pour refondre les sociétés et les états en vue de stopper la gangrène ;  
  • Renforcer l’intégration régionale et continentale avec des institutions qui jouent pleinement leur rôle dans la prévention et la gestion des crises politiques et des conflits ;
  • Adopter des approches « Glo-localisées » (globales et locales)  pour plus d’inclusion dans la résolution de crise ;
  • Privilégier les solutions politiques et diplomatiques en vue de résoudre  ces crises en  tenant compte de la vulnérabilité des populations ;
  • Sortir du chevauchement institutionnel pour plus d’efficacité et de cohérence dans les approches de sécurité collective ;  
  • Renforcer la coopération transfrontalière dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée ;
  • Redynamiser la solidarité sous régionale, continentale et internationale pour apporter une assistance humanitaire d’urgence aux personnes déplacées par le conflit au Soudan ;
  • Prendre en compte les questions migratoires et climatiques dans les processus de prévention et de résolution des crises pour éviter que la situation n’empire.

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