Tuesday, 26.09.2017 - Thursday, 28.09.2017 - Bamako, Mali

Atelier des experts sur les interactions entre les menaces sécuritaires dans le Sahel

La dégradation de la situation sécuritaire au Sahel, avec une multitude de menaces, qui s’enchevêtrent les unes aux autres constitue une préoccupation majeure pour la paix et la sécurité. Il y a donc une véritable imbrication d’enjeux, d’acteurs, de réseaux dans le Sahel pour le contrôle des zones où l’Etat est faiblement représenté en termes d’administration et de forces de défense et de sécurité, voire quasi inexistant. La stabilisation et la pacification du Sahel sont incontestablement des défis à relever. C’est dans cette logique que le Bureau Paix et Sécurité Centre de Compétence Afrique Sub-Saharienne de la Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) a organisé du 26 au 28 septembre 2017, à l’Ecole de Maintien de la Paix Alioune Blondin Bèye de Bamako (Mali) un atelier des experts pour discuter autour de la jonction entre conflits anciens et nouveaux et des connexions entre groupes terroristes et réseaux de trafics illicites dans l’espace sahélien.

Durant trois jours, des experts et praticiens du terrain venus du Mali, du Niger et du Sénégal, se sont rencontrés à l’Ecole de Maintien de la Paix Alioune Blondin Bèye de Bamako pour discuter des interactions entre les menaces sécuritaires dans le Sahel. L’atelier des experts de Bamako visait à créer un cadre de réflexion collective, pluridisciplinaire et multi-acteurs pour pouvoir agir de manière positive sur la dynamique des conflits anciens et nouveaux dans le Sahel à travers une appropriation des défis à relever pour sécuriser et stabiliser cette région dans un contexte de menaces asymétriques. Ce cadre de concertation qui a permis de mieux analyser les incidences des conflits et leurs interactions sur la sécurité et la stabilité de cette région et de proposer aux autorités nationales, aux partenaires techniques et financiers, aux institutions sous-régionales et internationales les meilleurs scénarii pour une sécurité collective et durable afin de stabiliser et pacifier le Sahel.

Deux thèmes ont principalement été abordés : celui des conflits entre agriculteurs et éleveurs dans un contexte de menaces asymétriques au Mali et au Burkina-Faso, d’une part et, les connexions entre groupes djihadistes et réseaux de contrebande et trafics illicites dans le Sahel, d’autre part.

Les analyses du panel d’experts, des acteurs de terrain, de représentants de communautés locales, d’organisations de la société civile, des autorités étatiques et d’institutions sous- Photo : Participants à l’atelier régionales ont permis de mieux comprendre les raisons profondes et complexes des conflits entre agriculteurs et éleveurs d’une part et les intérêts économiques qui animent les différents acteurs de cette conflictualité d’autre part. La récurrence des conflits agriculteurs et éleveurs traverse tout le Sahel et sont justifiés par les effets du changement climatique, des frustrations des populations nées de pratiques comme l’accaparement de terres favorisé par des politiques publiques productivistes qui privilégient l’agriculture au détriment du pastoralisme. La dynamique des conflits agriculteurs – éleveurs dans le Delta du Fleuve Niger et dans la province du Soum au Burkina Faso, est également marquée par le changement du contexte sécuritaire, le bouleversement des équilibres sociaux, le développement d’une économie de crise (trafic de drogue, contrebandes, etc.), l’apparition de milices et de groupes armés, qui contestent à l’Etat le monopole de la violence légitime. La résolution durable de ces conflits nécessite de relever les défis politique, sécuritaire et social avec une vision prospective et le concours des partenaires techniques et financiers et des acteurs de la société civile.

Du point de vue des participants, les connexions entre groupes djihadistes et réseaux de contrebande et trafics illicites dans le Sahel s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs comme la vulnérabilité des Etats, la corruption de certaines élites dirigeantes, la porosité des frontières, l’existence de groupes armés qui contrôlent de vastes zones dans le continuum Sahel-Sahara avec un ancrage communautaire et leurs capacités à se mouvoir à travers des frontières vastes et poreuses ; sans oublier le rôle important qu’occupe la Libye dans ce phénomène. Le changement d’itinéraire de la cocaïne d’Amérique du Sud vers l’Europe fait du Sahel, aujourd’hui, une plaque tournante dans l’entreposage, le transit et la vente de drogue. L’arrivée des djihadistes dans le Nord du Mali à partir de 2004 va donner naissance à des connexions entre des réseaux de trafics notamment de la drogue, de la cigarette avec les groupes terroristes. Ces différentes entités évoluant dans les mêmes zones où la présence de l’Etat est très faible collaborent à travers une division du travail : les terroristes garantissent la sécurité des convois et des itinéraires des trafiquants de drogues et en retour, ils perçoivent des « taxes » pour financer leurs activités terroristes dans le Sahel. Plusieurs témoignages de participants montrent que la frontière entre terrorisme et réseaux criminels organisés dans le Sahel est très ténue, car plusieurs djihadistes sont directement impliqués dans la circulation et les trafics de drogue ainsi que plusieurs leaders communautaires, et ce à cause de la valeur lucrative de la cocaïne. Ce qui montre, à suffisance, la convergence d’intérêts entre les groupes terroristes et les réseaux de narcotrafiquants et de contrebande dans le Sahel. Les participants ont fortement insisté sur la nécessité de mettre l’accent sur l’insertion des jeunes dans le tissu économique, leur scolarisation et la revitalisation des communautés pour décourager les populations à rejoindre les réseaux criminels, qui prospèrent dans le Sahel.

Grâce aux apports des uns et des autres durant les discussions, les connexions entre les groupes djihadistes et les divers réseaux illégaux dans le Sahel ont été davantage clarifiées. De plus, les experts et acteurs de terrain ont pu formuler des recommandations plausibles aux Photo : Vue des participants lors des échanges. gouvernements des pays du Sahel, aux partenaires techniques et financiers, aux acteurs non-étatiques et aux collectivités locales au nombre desquelles on peut retenir, entre autres :

  • La nécessite d’organiser des activités du genre au profit des femmes et des jeunes pour une plus grande implication de cette catégorie dans la lutte contre l’extrémisme violent au Sahel ;
  • Le renforcement de la coopération entre les organisations régionales et l’harmonisation entre les différentes stratégies de développement dans le Sahel pour lutter efficacement contre les menaces sécuritaires ;
  • La réforme du secteur de la sécurité en renforçant la présence des Forces de défense et de sécurité pour restaurer l’autorité de l’Etat et moderniser les services publics dans les zones frontalières ;
  • La révision des textes sur l’exploitation de la terre et leur adaptation aux modes de gestion foncières actuelles sur le terrain ;
  • Le soutien aux initiatives locales, l’encouragement du dialogue et la coopération inter-communautaires ;
  • La mutualisation des moyens de défense au niveau sous-régional et la lutte contre la prolifération des armes à travers un mécanisme de sécurité transfrontalière ;
  • L’harmonisation des législations des pays de la CEDEAO en matière de lutte contre la criminalité transnationale ;
  • L’initiation des projets de développement pour empêcher les populations de collaborer avec les groupes terroristes/trafiquants.

Au terme de cet atelier, la nécessité de mettre en place d’un cadre de collaboration des différentes parties prenantes pour une paix et une sécurité durables dans la zone sahélo-saharienne (Etats, populations, Forces armées, chefs religieux et traditionnels, etc.) fut la principale conclusion. Et cela témoigne de l’urgence et de l’importance d’une sécurité collective comme solution à l’insécurité et l’instabilité en Afrique subsaharienne.

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