Non seulement le mouvement «Arabellion» a changé les réalités politiques de certains pays d'Afrique du Nord, mais il a également provoqué et accéléré des changements majeurs dans le Sahel. En effet, la crise politique au Mali révèle comment les forces islamistes gagnent de plus en plus d'influence dans la région. A cet égard, la FES a convoqué, le 21 novembre à Abuja capitale du Nigeria, le cinquième débat ouvert. Cinq intervenants d'Europe et d'Afrique de l'Ouest ont fait des présentations sur les «Perspectives à long terme de sécurité en Afrique du Nord et de l'Ouest». En conclusion générale de ce débat, aussi bien les panélistes que les participants ont souligné que la mauvaise gouvernance des institutions publiques est la principale source de l'insécurité dans le pays.
Cette fois, le Débat d'Abuja a été encadré par une conférence internationale de trois jours appelée «Dialogue d’Abuja » sur le même sujet. En tant que groupe de débat ouvert, la FES a voulu partager et discuter des résultats de la conférence avec le grand public. Dr Mehari Maru d'Ethiopie, consultant international sur l'UA, la paix, la sécurité et les questions migratoires en Afrique a été invité, entre autres, en tant que panéliste, de même que les Ghanéens Dr. Kwesi Aning du Kofi Annan International Peacekeeping Training Centre (KAIPTC), l'Honorable Osei-Mensah du Parlement ghanéen et le président de la Commission aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité du Parlement de la CEDEAO. Mme Bérangère Rouppert du Centre belge de recherche, membre du Groupe de Recherche et d'Information sur la Paix et la Sécurité (GRIP) et l'experte chargée des stratégies de l'UE pour le Sahel, était également parmi les panélistes. M. Amadu Sesay, Professeur de Relations internationales À l'Université d’Ile-Ife a animé le débat ouvert.
Analyse des causes de l'insécurité
Comme l’a souligné le Dr Maru, «en examinant les perspectives à long terme de l'insécurité en Afrique du Nord et en Afrique de l'Ouest, la nature de l'État devient un aspect critique». La mauvaise gouvernance par l’élite politique, qui ne cherche que son intérêt personnel, est plus la règle que l'exception dans la région. Les périphéries et les zones où règne l'anarchie sont les conséquences d'une autorité publique faible et délégitimée. En l'absence d'institutions solides, les clivages sociaux au sein de la société ne peuvent pas être médiatisés de manière adéquate, d’où le risque que les conflits socio-économiques se produisent. Cette situation constitue toutefois un terrain fertile pour le crime transnational organisé et pour d'autres forces qui s’épanouissent dans des situations d'insécurité.
La mal gouvernance s'accompagne d'un manque de contrôle en termes de transparence et d’équilibre des pouvoirs dans les trois domaines. Traditionnellement, dans une démocratie, c'est le pouvoir législatif qui établit les lois. Mais en Afrique du Nord et en Afrique de l'Ouest, l’organe exécutif dominant sape aussi bien le pouvoir législatif que le pouvoir judiciaire. En effet, la notion de contrôle mutuel ne prévaut pas. L'Honorable Osei-Mensah a déclaré que la fragilité des jeunes démocraties africaines est également due à ces déficits démocratiques. Exclure les parlements de la prise de décisions politiques, restreint la voix du peuple. La démocratie au Mali n'est pas mieux qu'un «système de mafia»
De toute évidence, on ne saurait aborder la question du Sahel sans parler de la situation qui prévaut actuellement au Mali. Un expert de cet Etat désertique a noté avec pertinence que le coup d'État de mars 2011 n'a pas été une surprise pour la société malienne. L'Occident décrit cependant une structure politique qui ressemble plutôt à un «système de mafia» fondé sur la corruption et le népotisme. Dr Aning a ajouté à cette observation que les événements récents au Mali peuvent se produire partout dans la région. «la leçon qu’il faut tirer de la situation au Mali, est que l'ignorance des problèmes fondamentaux dans une société entraînera forcément une propagation du terrorisme et des activités criminelles dans la région, a-t-il poursuivi. La CEDEAO peut-elle être un facteur de stabilisation pour la région?
Les experts du panel de discussion n'ont pas remis en question la prochaine intervention de la CEDEAO dans le Nord du Mali en tant que telle. Cependant, ils ont soulevé des problèmes qui pourraient probablement se poser au cours de la préparation et de la conduite de l'intervention et au cours de la période de transition après l’engagement militaire: l'armée du Mali est-elle réellement capable de s'engager comme l’ont prévu les acteurs internationaux? Quel rôle jouerait le Nigeria dans toute cette opération? Les forces du Niger ne sont-elles pas plus à même d’opérer dans le désert que les Nigérians? Qu'en serait-il d’une vaste stratégie de sortie pour éviter les échecs enregistrés en Irak et en Afghanistan? La Communauté internationale et la CEDEAO pourraient-elles s'attaquer aux problèmes du Nord du Mali après avoir réussi à rétablir la paix et la sécurité? Ces doutes soulevés montrent clairement que la CEDEAO est un autre facteur incertain dans l'ensemble du processus où le résultat réel ne peut être prédit pour le moment.
Intérêts extra régionaux
En dépit d'une forte réserve quant à un engagement militaire direct, la communauté internationale a des intérêts vitaux à protéger dans la région, ce qui la pousse à mener des actions immédiates. Selon Mme Rouppert, ces intérêts sont surtout l'énergie et la lutte contre le terrorisme quand il s'agit des États-Unis. Par ailleurs, la France, ancienne puissance coloniale, veut garder son influence dans la région et opte fortement pour une intervention militaire alors que l'Union européenne en tant que telle veut une région sahélienne stable pour éviter des taux de migration élevés, les trafics illicites, le crime et assurer l'approvisionnement en énergie du continent.
La communauté internationale apprendra-t-elle cette fois-ci de ses échecs? Comme l'a souligné Mme Rouppert, les stratégies mises en œuvre par le passé n'étaient ni opportunes ni adéquates du fait d'un dialogue et d'un partenariat pratiquement inexistants. Le Dr Aning et l'Honorable Osei-Mensah ont partagé cette réflexion et ont plaidé en faveur d'une voix africaine plus forte. Selon la conclusion des experts, cela pourrait amener à une réaction plus adéquate qui est à la fois plus efficace et plus bénéfique pour les populations de la région.
Des solutions africaines aux problèmes africains
Quelles sont maintenant les perspectives à long terme de la sécurité dans la région? Selon les participants, il est évident que les institutions africaines ont besoin de renforcer leurs capacités - non seulement au sens militaire du terme, mais surtout dans la composante civile de prévention des conflits et de consolidation de la paix, d’où la nécessité d’une plus large variété de mécanismes de réponse pour régler efficacement les conflits à la manière africaine sans forcément dépendre des ressources des pays occidentaux. Il en est de même de la nécessité de trouver des solutions efficaces et durables aux problèmes majeurs dès qu'ils émergent. Néanmoins, la stabilisation ne peut être réalisée que si tous les acteurs de la région du Sahel s’unissent pour un même objectif, notamment l'Algérie réticente. Mais l’essentiel de toutes ces actions peut être résolu dans l'urgence d'établir des gouvernements nationaux légitimes qui favorisent la bonne gouvernance afin que les «maladies chroniques» de la région telles que la corruption, la pauvreté ou un profond mécontentement chez les jeunes puissent éventuellement être abordées.
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