Wednesday, 25.09.2024 - PSCC Talk

PSCC TALK : Enjeux de la gestion de la migration dans un contexte de crise politique et sécuritaire au Sahel

Dans le cadre de ses conférences virtuelles dénommées "PSCC Talk", le bureau Paix et Sécurité Centre de Compétence Afrique Subsaharienne de la Fondation Friedrich Ebert (FES PSCC) Dakar a organisé le mercredi 25 septembre 2024 une rencontre virtuelle sur le thème : «  Enjeux de la gestion de la migration dans un contexte de crise politique et sécuritaire au Sahel ». L'objectif de la rencontre était de discuter du contexte de la crise politique et sécuritaire qui sévit au Sahel et de ses effets induits sur la gestion de la question migratoire et dégager des propositions de solutions durable pour une meilleure gestion de la migration. Au total, une vingtaine d'acteurs, praticiens/chercheurs, journalistes/spécialistes de la migration et des représentants d'organisations de la société civile dédiées aux questions de migration au Sahel et en Afrique de l'Ouest ont participé à la dite session qui a duré deux heures.

Depuis plus d’une dizaine d’années, les pays du Sahel connaissent de profonds bouleversements sur le plan politique et sécuritaire. À partir de 2020, il y'a eu une résurgence des coups d'État et plusieurs dirigeants civils ont fait l'objet de coups d'État militaires au Mali, au Burkina et au Niger, complexifiant davantage la situation qui était déjà fragile dans une région en proie à la violence terroriste et au sous-développement. Aux défis politiques, sécuritaires, économiques et géopolitiques, le Sahel est également confronté à une crise de la mobilité avec des populations qui, historiquement, sont très mobiles. Mais à cause du prolongement des crises, du terrorisme, des conflits communautaires, des effets du changement climatique, le manque de perspectives pour les jeunes et l'extrême pauvreté, le phénomène semble s'être accentué avec en filigrane une augmentation des déplacés internes et des réfugiés.

Une analyse croisée du contexte de crise sécuritaire et politique, et des effets induits sur la migration, semble nécessaire afin de comprendre la problématique de la gestion de la migration et formuler des recommandations réalisables.

Ainsi, à la lumière des deux interventions de la session, notamment celle de Dre Mariame Sidibé, Enseignante/Chercheure Experte en migration, conflits, sécurité et genre et du Pr Brema Ely Dicko, Enseignant/Chercheur, Spécialiste migrations, genre et développement, nous pouvons dresser un bilan très contrasté du contexte politique et sécuritaire actuel au Sahel qui s'est davantage aggravé et engendré des changements notables dans la coopération bilatérale et multilatérale, avec la dénonciation de nombreux accords sur le plan sécuritaire, économique, diplomatique et sur la question migratoire. Sur le plan sécuritaire, nous constatons une accentuation de l'insécurité, comme en témoigne les récentes attaques terroristes perpétrées à Bamako (septembre 2024),  une situation humanitaire critique sans précédent avec des millions de déplacés internes et réfugiés (Mali x Burkina) à cause des effets conjugués du terrorisme, des conflits communautaires, de l'esclavage par ascendance et les effets du changement climatique, surtout les récentes inondations qui ont eu lieu dans ces trois pays et dont les conséquences seront ressenties dans les mois à venir. En raison des inondations, de nombreux foyers ont dû se déplacer et les récoltes de cette année semblent en danger. Cela pourrait affecter les déplacements des communautés touchées et augmenter le nombre de personnes déplacées à l'intérieur et à l'étranger.

Notons qu'au Sahel, la permanence des crises ainsi que l'impact économique et humanitaire (accentuation des cas de violation des droits de l'homme), associés aux questions subjacentes existantes comme le manque de perspectives pour les jeunes et l'extrême pauvreté, soumettent la région à une pression croissante et permanente. Ces éléments précités ont eu des incidences sur la mobilité, avec une augmentation des pics au niveau des déplacements internes, intra-régionaux et intercontinentaux. Par ailleurs, la dislocation de la communauté régionale (CEDEAO) avec la création de l'Alliance des États du Sahel renvoie à des interrogations et des incertitudes quant à l'avenir de la sous-région en terme de mobilité intra-régionale. Même si les conditionnalités de cette séparation ne sont pas encore définies, des inquiétudes demeurent quant aux effets possibles sur la mobilité au sein de l'espace ouest africain qui dispose d'un excellent mécanisme, le Protocole 79 de la CEDEAO, qui facilite le déplacement des personnes et de leurs biens au sein de la communauté.

Au demeurant, le manque de stratégie et d'harmonisation des politiques migratoires posent un problème de traitement adéquat de la question dans la sous-région. Même si le Mali a adopté une politique migratoire depuis 1994 et avait institutionnalisé la question depuis 1991, en matière de gestion de la question migratoire, la région demeure en retard. Au Niger, une loi adoptée en 2015, qui criminalisait le transport de migrants, a été abrogée au lendemain du coup d'État survenu le 26 juillet. Cela a contribué à créer des couloirs de passage moins sûrs, avec une forte augmentation des flux de migrants et la reprise des activités criminelles liées aux transports et trafiques de migrants dans la zone qui est l'un des points de passage les plus importants de la migration irrégulière.

Pour une meilleure gouvernance de la migration, les États devraient adopter une approche globale et inclusive. Les États doivent aussi opter pour des postures réactionnaires car l'Afrique demeure en marge des stratégies migratoires mondiales. Des pistes de solutions locales doivent être privilégiées en capitalisant les différentes initiatives des pays, mais aussi en organisant un sommet continental sur la migration à travers l'Union Africaine. Mais, il est également essentiel d'impliquer les communautés à la base dans les initiatives de plaidoyer pour traiter la question migratoire. Des systèmes d'informations devraient également être mis en œuvre afin d'obtenir des données statistiques à jour, afin de mieux appréhender les besoins et le profil des migrants.

En termes de recommandations, les discussions ont permis de mettre l'accent sur un certain nombre d'éléments clés à mettre en œuvre simultanément pour une meilleure gestion de la question migratoire au Sahel. Il s'agit principalement de :

A. Au niveau politique et stratégique

  • Sortir du cloisonnement et avoir un package pour une gestion globale et intégrée de la migration ;
  • Planifier la migration et éviter les politiques réactionnaires pour ne plus être en marge des stratégies migratoires mondiales ;
  • Intégrer et prioriser la question migratoire dans le débat suite à l’avènement de l’Alliance des états du Sahel (AES) ;
  • Organiser un sommet continental sur la migration par l’Union Africaine et renforcer la coopération intra africaine en matière de politique migratoire ;
  • Intégrer les aspects genres et la question des mineurs dans le traitement de la question migratoire et des déplacements forcés ;
  • Prendre en compte les questions climatiques qui influencent fortement la mobilité ;
  • Promouvoir une large communication sur les opportunités légales de migration (études ; vacances-travail ; etc.) ;
  • Assurer une meilleure coordination des données statistiques (OIM, DNDS, MMEIA, INSTAT) afin de disposer des données probantes à même d’éclairer les décisions politiques ;
  • Valoriser la recherche scientifique et la vulgarisation des travaux des chercheurs africains sur la question migratoire.

B. Pour les migrants forcés internes et les réfugiés

  • Renforcer les capacités d’accueil des Collectivités territoriales qui ont déjà accueilli les PDI (kits d’urgence, aménagement de sites d’espoir, prise en charge de la scolarisation des enfants, renforcement des infrastructures sanitaires, état civil, sécurité des sites, etc.) ;
  • Faciliter le retour des personnes déplacées internes et des réfugiés dans leur communauté de résidence ;
  • Renforcer la présence de l’Etat à travers des actions et des échanges avec les coordinateurs de camps ;
  • Assurer une meilleure coordination avec le HCR.

C. Pour les jeunes, les femmes et leur communauté

  • Contribuer au renforcement des capacités locales sur la migration forcée et volontaire ;
  • Améliorer l’accès à l’information et la sensibilisation des communautés sur les questions de migrations à travers les langues locales ;
  • Appuyer la formation professionnelle et la création d’entreprises pour les jeunes et les femmes ;
  •  Encourager et soutenir les initiatives de plaidoyer des acteurs de la société civile en faveur d’une gouvernance plus globale et inclusive de la migration ;

Ces discussions ont été modérées par M. Moussa Seydou Diallo, journaliste spécialiste en migrations, grand reporter et écrivain.

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