Les 24 et 25 juin 2013, un sommet a eu lieu à Yaoundé au Cameroun, auquel ont participé des représentants gouvernementaux de 25 Etats de l'Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale sur la sécurité maritime dans le golfe de Guinée. C'était le premier sommet en Afrique consacré exclusivement au Thème de sécurité maritime.
Par Denis Tull, Représentant résident, Friedrich-Ebert-Stiftung (FES), Cameroun Les 24 et 25 juin 2013, un sommet a eu lieu à Yaoundé, au Cameroun, auquel ont participé des représentants gouvernementaux de 25 Etats de l'Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale sur la sécurité maritime dans le golfe de Guinée. C'était le premier sommet en Afrique consacré exclusivement au thème de la sécurité maritime.
Le golfe de Guinée est la région côtière qui s'étend du sud du Sénégal en Afrique de l'Ouest jusqu’à l'Angola. L'importance stratégique de la région est indéniable. D'une part, un grand nombre de navires porte-conteneurs en direction vers l'Europe et les États-Unis naviguent dans les eaux du Golfe. D'autre part, au cours de la décennie écoulée, le Golfe est devenu l'une des régions les plus importantes au monde pour sa production de pétrole et de gaz. La production de pétrole s'élève à environ 5,5 millions de barils par jour. Le potentiel de croissance élevé du pétrole et du gaz, leur exploitation en mer ou dans les zones côtières, la proximité des marchés européens et nord-américains, l'instabilité du Moyen-Orient et, enfin, la demande croissante de combustibles fossiles dans les pays émergents contribuent tous à l'importance accrue du golfe de Guinée. [1] Toutefois, dans la perception des acteurs extérieurs, son importance stratégique a également augmenté de façon remarquable, d’où une présence militaire et diplomatique renforcée, en particulier celle de la France et des États-Unis d’Amérique. L'expansion de la criminalité organisée et du terrorisme a également contribué à l'inquiétude croissante.
L'inconvénient du développement économique est que les activités criminelles sont devenues plus lucratives ces dernières années. La prolifération de l'insécurité maritime a été favorisée avant tout par l’introduction politique de la région et par les États voisins. Malgré l'abondance des ressources naturelles, la pauvreté, la corruption et les conflits sont virulents. La plupart des États de la région ne sont pas en mesure de décider de l'utilisation de la force. Les organisations de sécurité et les organismes d'application de la loi sont inefficaces, en particulier dans les régions côtières et en mer. Au Nigéria, le plus grand pays producteur de pétrole en Afrique (environ 2,4 millions de barils de pétrole par jour), ces problèmes sont particulièrement graves et il n'est pas surprenant que le pays soit l'épicentre de l'insécurité maritime [2].
L'insécurité maritime a augmenté ces dernières années en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale. Sa portée géographique s'est également élargie. Mesurée en termes d'attaques enregistrées en 2012, elle s'est étendue de la Guinée à l'Ouest à l'Angola au Sud (voir le tableau 1). En raison de la diminution significative de la piraterie au large des côtes de la Somalie suite à un déploiement militaire massif, l'Afrique de l'Ouest a été l'une des régions les plus gravement touchées au monde en 2012, avec 62 attaques documentées contre la navigation. Au total, 207 marins ont été pris en otage. La plupart des attaques ont eu lieu dans les eaux au large du Togo (15) et au large du Nigeria (27). Ces attaques ont augmentées en 2013. Au Nigeria seulement, il y avait déjà 22 attaques dans les cinq premiers mois de l'année.
En dépit de l'utilisation répandue du terme «piraterie», ce qui se passe au large des côtes de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale ne consiste pas à piller en haute mer, comme l'entend le droit international. Les pirates de l'Afrique de l'Ouest opèrent généralement près de la côte, c'est-à-dire dans les eaux territoriales des États-nations. La plupart des attaques peuvent être qualifiées de vols à main armée, ciblant des navires et des plates-formes pétrolières. De temps en temps, il y a aussi des raids sur le continent perpétré depuis la mer. Le raid sur EcoBank dans la métropole économique et côtière camerounaise de Douala en mars 2011, dans lequel les voleurs de banque ont attaqué de la mer, en est un exemple. Au large des côtes, il y a un vide de sécurité dans nombre de pays de la région, favorisé par l'absence de navires ou bien de garde-côtes désuets, le manque d'équipement et de maigres ressources. Le développement des capacités pertinentes est une question d'urgence.
Les gouvernements de la région n'ont pas suivi le rythme de l'extension de l'insécurité maritime transfrontalière, même si les préoccupations politiques concernant cette question ont sans aucun doute augmenté: en Afrique centrale, depuis 2009 et en Afrique de l'Ouest seulement depuis 2011. [3] Les efforts associés au sommet de Yaoundé peuvent être considérés comme étant la prochaine étape logique. La CEEAC a eu sa propre stratégie de sécurité maritime depuis 2009. Sa base est un centre régional de coordination dans lequel l'information pertinente est recueillie et échangée. En outre, les États membres mènent déjà des patrouilles conjointes le long du littoral, réparties en différentes juridictions opérationnelles. La CEDEAO quant à elle, ne dispose pas encore d'un niveau comparable de coopération. Cependant, au cours de ces deux dernières années, les premières mesures ont été prises pour rattraper le retard et pour cause, le nombre alarmant d'attaques maritimes perpétrées contre le Bénin au cours de l'année 2011, qui auparavant était à peine touché. Cela a clairement indiqué que la piraterie ne se limiterait pas au seul Nigeria. En conséquence, les gouvernements du Bénin et du Nigéria ont inscrit la sécurité maritime à l'ordre du jour de l'Assemblée générale des nations unies et du Conseil de sécurité de l'ONU. Depuis lors, la question a également été abordée au niveau de la CEDEAO, même si ce n’est qu’un sujet de rhétorique.
Le manque de coopération tant en Afrique de l'Ouest qu’entre l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale est compensé par l'activisme de la France et des États-Unis d’Amérique. Non seulement les deux pays ont accru leur présence militaire dans la région, mais, dans le cadre des programmes de coopération en matière de sécurité, ils fournissent également aux forces navales et aux garde-côtes des pays limitrophes un soutien sous forme d'aide matérielle, de formation et de consultation. [4]
Au plan politique également, Paris et Washington sont restés actifs. Les observateurs locaux et extérieurs les perçoivent comme étant derrière l'initiative d'étendre de manière significative la coopération régionale dans le domaine de la sécurité maritime. Cette pression est basée sur l'évaluation des acteurs extérieurs qui, en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale, n’ont pas jusqu'ici réussi à réaliser une harmonisation institutionnelle et juridique qui pourrait servir de cadre pour l'intensification de la coopération interrégionale. A ce jour, il n'y a pas eu d'accord proprement dit aussi bien au niveau politique que stratégique.
Un nouveau chapitre de la coopération régionale et interrégionale dans la lutte contre l'insécurité maritime a dû s’ouvrir avec le sommet de Yaoundé. Bien que les chefs d'Etat et de gouvernement n'aient pas été en mesure de s'entendre sur une stratégie multilatérale. Cette stratégie sera mise au point et mise en œuvre au cours des trois prochaines années. Un «code de conduite» dictera les lignes directrices pour la période intérimaire. Il prévoit que les États signataires harmonisent leurs législations nationales afin de mettre en œuvre la prévention et la lutte contre la piraterie transfrontalière. Il s’agit principalement de la poursuite des pirates à travers les frontières terrestres et maritimes, en cas de danger imminent d’une part et de leur extradition vers les Etats voisins, d’autre part. Les stratégies nationales et des plans opérationnels de lutte contre la piraterie devraient être également élaborés et coordonnés au niveau régional. La question de la fourniture d'équipement et de matériel pour une surveillance maritime efficace a également été soulevée, ainsi que celle de la création d’un centre interrégional de coordination pour la lutte contre la piraterie, qui sera basé à Yaoundé. Aucun accord n'a été conclu pour le moment sur le financement de ces projets. Alors que nombre de chefs d'Etat et de gouvernement ont lancé des appels à la communauté internationale pour qu'elle prenne des mesures décisives en ce qui concerne aussi bien le golfe de Guinée que la Somalie, d'autres chefs d'Etat ont appelé à des contributions volontaires des pays limitrophes pour ne pas affaiblir davantage l'indépendance et la souveraineté des Etats.
Le sommet de Yaoundé a été une première politique à tous égards. C'était l'aboutissement des initiatives visant à renforcer la coopération interrégionale dans la lutte contre la piraterie et l'insécurité maritime depuis 2011. Toutefois, les résolutions prises doivent être mesurées en termes de mise en œuvre. En outre, il y a un point d'interrogation quant à l'appropriation locale requise si l’on veut que la coopération maritime interrégionale aille bien au-delà des communiqués du sommet. Les États de la région et les acteurs extérieurs n’ont pas nécessairement les mêmes intérêts. Il en est de même au sein de la région. Alors que les petits États qui souffrent de la piraterie, comme le Bénin et le Togo, vont sans aucun doute se réjouir du soutien extérieur et de la coopération multilatérale, les grands pays, plus préoccupés par leur propre souveraineté, comme le Nigeria et l'Angola, pourraient ne pas accepter ce soutien ni cette coopération.
L'attention exclusive du sommet sur les aspects de la politique de sécurité est tout à fait discutable. Il favorise des réponses largement réactives à l'insécurité maritime, de la part des forces navales et des garde-côtes. Cette étroite concentration fait oublier les causes politiques et économiques de la piraterie qui découlent de la soumission des populations majoritairement jeunes à une politique d'exploitation et de distribution irresponsables et iniques de la richesse provenant des ressources, de la corruption et de l'exclusion sociale. Le fait que certains des chefs d'Etat et de gouvernement réunis à Yaoundé soient les architectes de ces politiques rend le résultat du sommet aussi compréhensible que le soutien de la France et des Etats-Unis qui mènent des politiques de plus en plus militarisées en Afrique, ce qui est loin d'améliorer la situation. Il faudrait plutôt une approche qui favorise l'Etat de droit et la transparence dans ces pays riches en ressources, qui sont en proie à la corruption. La transformation de l'économie devrait également figurer à l'ordre du jour, car les taux de croissance élevés de la région ne sont qu’une illusion. Les activités extractives (pétrole et gaz) qui sont largement responsables de cette croissance ne créent pas d'emplois. En conséquence, les systèmes politiques de la région doivent être redressés de toute urgence. Malheureusement, tout porte à croire que les gouvernements occidentaux sont plus enclins à poursuivre les impératifs de la Realpolitik.
[1] Michael Roll / Sébastien Sperling (eds), Fuelling the World – Failing the Region? Oil Governance and Development in Africa’s Gulf of Guinea, Abuja: Friedrich-Ebert-Stiftung, 2011.
[2] Denis Tull, «Afrique de l'Ouest», in: Stefan Mair (dir.), Piracy and Maritime Security: Regional Characteristics and Political, Military, Legal and Economic Implications, Berlin: Stiftung Wissenschaft und Politik, 2011, 28–33.
[3]International Crisis Group, The Gulf of Guinea: The New Danger Zone, Brussels 2012.
[4] Voir "Quand la marine française traque les pirates", dans: Le Monde, 20.6.2013.
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