Tuesday, 25.07.2023 - PSCC Talk - Zoom

PSCC Talk: Le retrait précipité de la MINUSMA du Mali : quelles conséquences sur la stabilité et la sécurité au Mali et dans le Sahel ?

Le 25 juillet 2023, le Centre de compétence Paix et la Sécurité Afrique Subsaharienne de la Friedrich Ebert Stiftung (FES PSCC) Dakar, a organisé un débat en ligne sur le thème « Le retrait précipité de la MINUSMA du Mali : quelles conséquences sur la stabilité et la sécurité au Mali et dans le Sahel ? ». L'objectif de la rencontre était de créer une plateforme d’échanges rassemblant des experts de différentes régions et pays afin d'avoir des discussions productives sur le retrait de la MINUSMA du Mali pour promouvoir le dialogue et des approches progressistes. La conférence a réuni plus d'une trentaine de participants composés de membres des organisations de la société civile, des forces de défense et de sécurité, d’organisations internationales et des acteurs politiques des pays du Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad), mais aussi de pays tels que les États-Unis et la Suède.

La détérioration des relations entre le Mali et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), mise en place en 2013 pour contribuer à la stabilisation du pays et à la protection des civils, s'inscrit dans un contexte de dégradation constante de la situation dans le pays. Cela a été le cas en termes de sécurité, avec des groupes affiliés à Al-Qaïda et à l'État islamique qui contrôlent de grandes parties du pays. Mais c'est aussi le cas sur le plan humanitaire. La situation continue d'être dévastatrice, laissant des centaines de milliers de personnes déplacées. Enfin, les coups d'État militaires de 2020 et de mai 2021 ont marqué un tournant dans la montée des tensions et les limites des mouvements de la mission. Les tensions ont culminé en mai 2023 avec la publication d'un rapport de la MINUSMA accusant l'armée malienne et des combattants " étrangers " d'avoir exécuté au moins 500 personnes lors d'une prétendue opération anti-jihadiste à Moura en mars 2022. En plus de dénoncer ce rapport, la junte a annoncé l'ouverture d'une enquête contre la mission pour "espionnage, atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat" et "complot militaire". Le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a donc recommandé au Conseil de sécurité de "reconfigurer" la mission pour qu'elle se concentre sur un nombre limité de "priorités" afin de la rendre plus efficace.

Alors que le renouvellement du mandat de la MINUSMA était en discussion à l'ONU, le 16 juin 2023, le ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye DIOP a exigé le "retrait immédiat" de la force onusienne du pays, dénonçant son "échec". Vendredi 30 juin, les Nations Unies ont validé à l'unanimité la demande de retrait de la MINUSMA formulée par les autorités maliennes.  Après 10 ans de présence et un effectif de quelque 12 000 soldats, la mission de l'ONU a donc 6 mois pour quitter le Mali.

Ce qui suscitent des interrogations à savoir :

  1. Quels peuvent être les conséquences d’un tel retrait sur la sécurisation et la stabilisation du Sahel qui fait face à la poussée des groupes extrémistes violents et de la criminalité transnationale organisée ?
  2. Quels impacts la fin de la MINUSMA peut-elle avoir sur le G-5 Sahel et dans la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger de 2015 ?
  3. Ce retrait de la MINUSMA à l’instar d’autres opérations avant elle (BARKHANE, TAKUBA) signifie-t-il la fin de l’engagement de la communauté internationale au Mali ?
  4. Quelles leçons faut-il tirer de cette fin précipitée de la MINUSMA ?

Les interventions du Dr Serigne Bamba GAYE (Professeur de Relations internationales) et de Serge DANIEL (Journaliste-écrivain) ainsi que les discussions modérées par le Général Mohamed Znagui SID'AHMED ELY (Expert Défense et Sécurité du G5-Sahel), ont fait ressortir les éléments suivants :

Le retrait de la MINUSMA était prévisible, c’est l’aboutissement d’un certain nombre de prémisses et du contexte géopolitique, le Mali étant devenu un champ d’affrontement entre la Russie et la France.

Il y a eu plusieurs épisodes de tensions entre le régime militaire du Mali et l’Onu dont les rapports étaient conflictuels. C’est la première fois qu’un Etat demande officiellement le retrait d’une opération de Paix de l’Onu. Une situation inédite. L’Onu découvre qu’un Etat au regard de sa souveraineté peut demander le retrait d’une OMP.

La MINUSMA a toujours était questionnée notamment son mandat : soutien à l’accord d’Alger et protection des civils. Dès sa naissance ces deux pôles de la MINUSMA ont été questionnés ajouter au fait que cette mission était dans une position défensive et non offensive. D’où la question de la pertinence de cette mission qui a entrainé une dégradation des rapports entre la MINUSMA et les autorités militaires au pouvoir au Mali (massacres de Moura, publication du rapport des Nations unies alléguant des violations des droits humains par les FAMa et leurs supplétifs de Wagner). Les rapports entre les deux acteurs étaient donc conflictuels.

Ensuite, le contexte géopolitique avec le changement stratégique du Mali (Wagner, Russie) et la lutte entre deux puissances du Conseil de sécurité de l’Onu a entraîné des conséquences sur l’homogénéité de cet organe. Ce qui a impacté la MINUSMA avec le repositionnement géostratégique de la Russie et de la Chine au Sahel et au Mali.

Il est à craindre la présence d’une galaxie de groupes armés et forces étrangères sur le terrain après le départ de la MINUSMA (FAMa, Wagner, groupes pro-gouvernemental, groupes rebelles, groupes djihadistes JNIM, EIGS, MUJAO, AQMI, Boko Haram).

Ce retrait prédit un avenir incertain et soulève plusieurs questionnements notamment : quels seront les rapports entre les groupes armés impliqués dans le processus de paix et le gouvernement malien dont l’application de l’Accord est poussive ? Assisterons-nous à des négociations directes entre ces deux acteurs ? Le Nord du Mali ne va-t-il pas devenir davantage un terrain d’affrontements entre les puissances étrangères ? Que va devenir le Sahel après le départ de la MINUSMA ?

Ce qui est certain c’est que logistiquement et matériellement il sera difficile de contrôler le vide laissé par la mission. Les premières victimes du départ de la MINUSMA seront les populations civiles. Il est aussi à, craindre des impacts négatifs au plan économique, social et surtout de la jeunesse car la MINSUMA était aussi une sorte d’espoir pour cette dernière à travers le financement de micro-projets de consolidation et de promotion de la paix et en mettant en place des programmes pour informer les jeunes, les former, les sensibiliser sur les dangers et les perspectives pour susciter l’espoir.

Le retrait de la MINUSMA révèle toutefois quelques leçons apprises non exhaustives :

  • La durée des opérations de maintien de la paix : elles s’inscrivent de plus en plus dans la durée (10 ans voir plus), mais elles n’ont pas de stratégie de sortie. Or, plus une opération se maintient longtemps dans un pays elle devient un problème dans un problème.
  • Le mandat : dans un contexte de terrorisme est-ce que la MINUSMA ne devait pas avoir un mandat robuste, offensif plutôt que défensif, comme avec la MONUSCO avec sa force de réaction rapide ou brigade d’intervention rapide ou l’AMISOM contre AL Shabab en Somalie ?
  • Les rivalités internationales (France-Russie) ont pris en otage le Conseil de Sécurité qui impactent la MINUSMA. Malheureusement, ces rivalités vont exacerber car les Relations internationales connaissent une nouvelle dynamique qui entraine une reconfiguration du jeu international.
  • Plus une OMP dure sur le terrain plus ses relations avec les autorités nationales se dégradent. Il est donc nécessaire pour l’Onu de repenser ses rapports avec l’Etat d’accueil (Haïti, République Centrafricaine, RDC, Mali).
  • Quelle est la pertinence d’une OMP dans un contexte de menace asymétrique ? Malheureusement, on n’a pas tiré des leçons de l’intervention de l’OTAN en Afghanistan.
  • La subsidiarité : l’Onu ne gagnerait-elle pas à réformer et refonder les OMP en donnant plus de place aux organisations régionales telles que l’Union africaine et notamment la CEDEAO ?
  • Le G5-Sahel est dans une situation compliquée. Le retrait de la MINUSMA est extrêmement préoccupant de même que la situation sécuritaire au Mali et au Sahel.
  • Avec 66% du Nord du territoire malien est peuplé seulement par 9% de la population, le travail de développement est difficile dans de grandes parties du pays, et l'État a du mal à exercer ses fonctions dans ces régions. Par conséquent, il existe une pléthore de groupes armés, de groupes terroristes, de groupes rebelles et de groupes étrangers au Mali.
  • Le cas de la MINUSMA et du Mali permet de mieux comprendre les relations entre certains pays africains et l'ONU dans le cadre du maintien de la sécurité et de la paix dans le monde.

En termes de recommandations:

  • Le G5 Sahel devrait se lever pour soutenir le Mali afin de permettre aux acteurs locaux et régionaux de lutter contre les forces extrémistes, il devrait augmenter sa présence dans le pays. Dans la période politique de transition, le pays devrait être aidé par la CEDEAO.
  • La situation au Mali doit être considérée comme une opportunité plutôt que comme un problème. Elle doit être l'occasion de redéfinir l'architecture de sécurité de l'Afrique et de stabiliser ainsi progressivement la situation au Mali et dans la région du Sahel.
  • Avec le départ de la MINUSMA et les innombrables repositionnements sur le terrain, la possibilité d'un conflit ethnique ou multiethnique doit être évitée.
  • La radicalisation des jeunes doit être davantage prise en compte pour parvenir à une paix durable. Par exemple, par le biais du développement local et de la création d'opportunités pour les jeunes.
  • Comme on l'a vu dans le cas du Mali, ainsi que dans le cas précédent de l'Afghanistan, les opérations de paix classiques doivent s'adapter afin d'être en mesure de réguler les menaces asymétriques. Les missions futures doivent se concentrer davantage sur les défis sécuritaires de chaque pays hôte.
  • Il faut insister sur l’Accord de paix issu du processus d’Alger et le réactiver car son application est pour le moment poussive.
  • Mettre en perspective le départ de la MINUSMA pour trouver des consensus entre le gouvernement du Mali et les groupes armés signataires de l’Accord.
  • Le retrait de la MINUSMA n’est pas seulement un échec de l’Onu mais c’est aussi celui des africains. Il y a donc nécessité pour les africains d’être au-devant de la lutte. L’UA et la CEDEAO doivent tirer des leçons de ce qui se passe au Mali avec a MINUSMA.

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